LA RENÉGOCIATION DE L’ALÉNA : EST-CE SI IMPORTANT ?

Le Canada, les États-Unis et le Mexique ont entamé la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain, mieux connu sous l’acronyme d’ALÉNA. Entré en vigueur en 1994, l’ALÉNA résultait de la volonté de renforcer l’économie nord-américaine par une intégration qui lui permettrait d’augmenter sa compétitivité face à l’Europe et au Japon, deux entités économiques alors très dynamiques.

LE QUÉBEC DANS L’ÉCONOMIE NORD-AMÉRICAINE

L’économie québécoise repose beaucoup sur le commerce international. De façon directe ou indirecte, les exportations soutenaient quelque 646 000 emplois au Québec [1] en 2013, dont 428 000 attribuables aux expéditions à destination des États-Unis. En valeur, les  exportations internationales québécoises de biens et de services ont atteint 109 milliards $ en 2016, soit 27,6% du PIB (393 milliards $). Encore là, les États-Unis accaparaient  la part du lion, soit 71,1% de ces exportations en ce qui concerne les biens. Arrivant loin derrière, la part du Mexique n’était que de 2,1 %. Le Québec importe sensiblement moins des États-Unis qu’il n’y exporte de sorte que ses échanges de biens avec ce grand voisin se soldaient par un surplus de 26,5 milliards $, de quoi irriter fortement Donald Trump. Cependant, avec le Mexique il enregistrait un déficit de 2,4 milliards $.

UN SUCCÈS RELATIF

On prend généralement pour acquis que les exportations du Québec  vers les États-Unis ont grandement augmenté grâce à l’ALÉNA. En réalité cela est difficile à démontrer étant donné qu’il est impossible de savoir ce qui se serait passé autrement. Présentement, environ 30% du commerce américain de bien se fait avec le Canada et le Mexique, soit exactement le même niveau qu’en 1994. Manifestement, la mondialisation a joué tout autant et peut-être même plus que l’ALÉNA dans l’accroissement des échanges commerciaux en Amérique du Nord. L’accord n’aurait donc, au mieux, que réussi à conserver les parts de marché des entreprises canadiennes et mexicaines sur le marché américain.

L’effet le plus indiscutable de l’accord est d’avoir favorisé l’intégration et la rationalisation de la production en Amérique du Nord. Sans l’accord, la concurrence vigoureuse de la Chine et des autres économies émergentes aurait été ressentie encore plus durement par les entreprises et les travailleurs des trois pays signataires. Cette intégration apparaît clairement dans la nature des biens échangés par le Québec avec ses partenaires américain et mexicain.  Ainsi, en 2016, les avions, les pièces d’avion et les camions comptaient à la fois parmi les principaux produits d’exportation et d’importation en direction ou en provenance des États-Unis. Même constat avec le Mexique en ce qui a trait aux avions et aux pièces d’avion. Bref, on est loin du modèle classique de la science économique où les pays s’échangent des produits tout à fait différents. Aujourd’hui, une large partie du commerce se fait à l’intérieur des chaines des valeur ajoutée de grandes entreprises comme Ford ou Bombardier, et les mêmes biens peuvent traverser la frontière dans les deux sens à différentes étapes du processus de fabrication.

Il faut aussi porter au crédit de l’ALÉNA la possibilité pour les consommateurs, les entreprises et les gouvernements de se procurer différents biens et services à meilleur prix. Mais ces gains ont été accompagnés par la perte pour le Canada d’une partie de son industrie manufacturière, celle-ci ayant décidé de déménager au sud des États-Unis ou au Mexique pour profiter d’une main-d’œuvre moins coûteuse ou d’exigences réglementaires moins contraignantes. Mais, même là, il n’est pas facile de déterminer la part exacte de responsabilité de l’ALÉNA. À défaut de migrer vers le sud, une bonne partie du secteur manufacturier canadien aurait vraisemblablement disparu de toute façon devant la concurrence irrésistible de la Chine et d’autres pays à bas salaires.

Par ailleurs, l’ALÉNA n’a nullement empêché les États-Unis de conserver des entraves importantes au commerce transfrontalier par le recours aux droits compensateurs, notamment à l’encontre du bois d’œuvre, ou par l’obligation faite aux entreprises de localiser une partie de leur production aux États-Unis ( le Buy American Act).  Néanmoins, ces mesures protectionnistes sont soumises dans le cadre du chapitre 19 de l’ALÉNA à un mécanisme d’arbitrage indépendant qui a fait en sorte que les exportations canadiennes sont moins exposées aux mesures protectionnistes de l’administration américaine que ce ne serait le cas autrement. Ainsi, présentement 1% seulement des importations américaines en provenance du Canada et du Mexique sont soumises à des droits compensateurs comparativement à 9% pour la Chine et à 3% pour le reste du monde.

CE QUI EST SUR LA TABLE

Même si elles n’ont pas été souhaitées par le Canada, les négociations peuvent s’avérer utiles pour ajuster les dispositions de l’accord en fonction des transformations économique majeures survenues au cours du dernier quart de siècle.

Ainsi, le commerce électronique, omniprésent aujourd’hui, était pratiquement inexistant en 1994 alors qu’il n’y avait que 600 sites internet accessibles au public[2]. Depuis, le développement extraordinaire de l’économie numérique a fait en sorte que les consommateurs peuvent acheter des produits, sans intermédiaires, partout dans le monde, et, réciproquement, que l’exportation est à la portée de toutes les entreprises, même les plus petites. Il en résulte des difficultés d’application de la fiscalité et de la réglementation, ce qui a pour effet de fausser les règles du jeu au profit de grandes entreprises américaines telles Neflix, AirBnb ou Uber.

Le Canada souhaite que le nouvel accord protège mieux les États signataires de la concurrence pouvant résulter de normes laxistes ou inexistantes en matière de travail ou d’environnement. Un peu dans la même veine, il devrait aussi, logiquement, demander la suppression du chapitre 11 de l’accord actuel qui permet aux entreprises de poursuivre les gouvernements pour avoir pris des décisions ou adopté règlementations qui nuisent aux intérêts de leurs actionnaires. Le Canada a souvent été mis en cause en vertu de cette disposition qui est dénoncé par plusieurs comme accordant une préséance indue des intérêts privés sur le bien public. Le Canada a aussi signalé son désir d’un meilleur accès aux contrats publics des États et des municipalités américaines.

En contrepartie de ses demandes, le Canada risque de se trouver sur la défensive dans le domaine des médias, de la culture et des services. Les négociateurs américains visent plus particulièrement les télécommunications et les services financiers. Le Canada pourrait aussi devoir faire face au désir des États-Unis de ne pas reconduire le mécanisme indépendant de règlement des différends (chapitre 19) qui n’a pu être inclus qu’à l’arraché dans l’accord actuel.

FAUT-IL REDOUTER UN ÉCHEC?

Compte tenu des nombreux écueils qui guettent les négociateurs, un échec des pourparlers est tout à fait possible. Les trois pays pourront alors convenir de maintenir l’accord existant. Ils pourront aussi décider d’y mettre un terme. C’est la menace qu’a brandie le président Trump à plusieurs reprises. Cette éventualité est cependant peu probable puisque toute volonté de répudier l’accord fera face à une forte opposition de la part des grandes entreprises ainsi que des représentants politiques et de la population des nombreux États américains qui dépendent largement du commerce transfrontalier.

Et si malgré tout, le président réussissait à abolir l’accord, serait-ce un désastre ? Peut-être pas tant que cela. Les échanges avec les États-Unis et le Mexique se feraient alors selon les règles générales définies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Non seulement ces règles protègent-elles contre les mesures protectionnistes injustifiables, mais elles permettent aux pays membres de profiter des tarifs douaniers les plus avantageux. Dans le cas des États-Unis, ces tarifs sont généralement inférieurs à 5% et ils auraient donc, sur les exportations canadiennes vers ce pays, un effet inférieur à celui des variations du taux de change. Ce dernier a augmenté de 10% au cours de la dernière année.

En fait, étant donné le faible niveau actuel des tarifs douaniers, ce sont maintenant des facteurs tels la proximité du marché, la disponibilité de services spécialisés et de main-d’oeuvre, les exigences réglementaires, les infrastructures et la fiscalité, entre autres, qui influencent le plus la décision des entreprises de localiser leurs installations à un endroit plutôt qu’à un autre. À ces facteurs, il faut ajouter, dans le contexte nord-américain, le fait que les structures industrielles mises en place sous les auspices de l’ALÉNA au cours du dernier quart de siècle répondaient à une logique de rationalisation et d’intégration qui tiendra toujours largement même après l’abolition éventuelle de l’accord.

Références

  • Ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Le commerce extérieur du Québec, édition 2017.

  • The Economist, 19 août 2017, How to improve NAFTA

  • The Economist, 20 juillet 2017, The outlines of NAFTA 2 emerge.

NOTE

Le présent billet est issu de la participation de l’auteur à l’émission ÉCONOPHILE du 9 septembre 2017 diffusée sur CKRL 89,1.

[1] Selon des données publiées par Statistique Canada (Cansim, tableau 381-0032).

[2] Greg Hewitt, American business needs a free trade deal for the digital age, The Hill, 1er septembre 2017.

2 commentaires
  1. fduranleau@videotron.ca a dit:

    Toujours clair et bien documenté. Tu aurais dû t’orienter vers une carrière dans l’enseignement et la recherche. A+

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